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Maison de Rixheim

La vie juive à Rixheim

Découvrez le récit de Martine Gradwohl

Le cimetière de Rixheim 

Bien peu d’entre vous le connaissent peut être… Il se confond avec le jardin d’une maison particulière. On l’aperçoit, derrière un mur de pierres, rue Bellevue mais l’entrée est rue de Riedisheim. Un vieux portail rouillé indique que ce cimetière date de 1798.  Néanmoins les premières mentions d’un cimetière juif à Rixheim dateraient de 1327 !  (Mention, dans un titre de rente de l’abbaye de Lucelle, d’un champ «bi des Juden kilchof »). L’emplacement était différent.

 

1) La vie juive à Rixheim ; présente depuis 1327

Peu de textes font mention à cette époque d’une communauté juive à Rixheim, qui est alors une petite bourgade agricole d’environ 1500 personnes. Mais on y évoque aussi un vignoble  « an des Juden bletz » où l’on produisait sans doute du vin cacher. Ces 2 mentions sont la preuve d’une présence juive à Rixheim ou en tout cas du passage de Juifs, souvent colporteurs ou maquignons dans cette bande rhénane.

Á cette époque, la présence des Juifs reste très discrète puisqu’en 1394 un décret royal a expulsé les Juifs de France et qu’en 1573, l’Archiduc d’Autriche a expulsé les Juifs de toutes ses terres.  En 1540 on trouve trace de 2 Juifs, David et Raphaël, qui habitent « Richssheym »

En 1648, lorsque l’Alsace est rattachée à la France, le roi, par pragmatisme sans doute, décide de tolérer les Juifs en Alsace. Á partir de là, 50% des Juifs de France vivent en Alsace, le plus souvent à la campagne, car ils n’ont toujours pas, sauf de très rares exceptions, le droit de s’installer dans les villes.  Ils y travaillent en journée mais repartent dormir à l’extérieur. Mulhouse, ville libre suisse depuis 1515,  majoritairement protestante, ne fait pas exception à la règle. Les Juifs n’y sont pas les bienvenus. Le rattachement de Mulhouse à la France le 15 mars 1798, ne change guère leur statut. On les accepte lorsqu'on a besoin d’eux ; comme fournisseurs d’argent, de chevaux, de marchandises diverses. On les rejette quand les besoins ont changé.  

On ne trouve plus de traces écrites de la présence juive à Rixheim jusqu’ à la fin du 17e siècle. En juin 1681 on trouve mention de la présence d’un Salomon Haas, originaire d’Uffholtz et qui s’installe à Rixheim après avoir vécu à Mulhouse puis en avoir été expulsé à l’issue de la guerre de Hollande. On sait aussi qu’en 1689 le Rabbin itinérant Simon Blum pratiquait des circoncisions à Rixheim. (Celle notamment de Benjamin Bloch, mon aïeul maternel, ascendant également du Capitaine Alfred DREYFUS avec qui je partage les arrières grands parents Israël DREYFUS né en 1727 et BLOCH Ella née en 1731, tous 2 mariés, épiciers et décédés à Rixheim.) Á cette époque Rixheim, comme Blotzheim font partie de la Seigneurie de Landser. Ces villages faisaient partie du Sundgau qui était « judenfrei » avant son rattachement au royaume de France en 1648. Néanmoins de rares communautés dont Jungholtz en 1655 et Hégenheim en 1673 y obtiennent la permission d'ouvrir des cimetières.

En 1696, 2 familles juives au moins vivent à Rixheim où la communauté est  « tolérée».

En 1708, on dénombre 4 familles juives à Rixheim, malgré l’opposition des habitants qui reprochent aux Juifs de ne pas être soumis aux mêmes charges que les chrétiens (droits de protection à payer au Roi et au Seigneur du village. Obligation d héberger les militaires).  

En 1719 on passe à 11 familles, nombre qui continue de croître régulièrement puisqu’en 1726  34 familles demeurent à Rixheim. En 1742, fasse aux récriminations des citoyens rixheimois chrétiens, les Juifs passent un accord avec la commune et s’engagent à payer  annuellement des impôts locaux et royaux. Entre 1744 et 1754 « les 8 meilleures maisons du lieu » c'est-à-dire les plus spacieuses auraient été acquises par des Juifs ce qui déplait fortement à leurs concitoyens chrétiens qui dénoncent la présence de « 150 personnes de cette nation errante » à Rixheim…

 En 1761, un rabbinat regroupant Habsheim et Rixheim est créé.  Sa résidence est fixée à Rixheim, le rabbinat de Haute Alsace siégeant à Ribeauvillé. Jacob Meyer occupa ce poste de 1771 à 1802 avant de devenir en 1813 Grand Rabbin de Strasbourg.

En 1763, la communauté finance la construction d’une synagogue sise dans le prolongement du mur pignon d'une maison du16e siècle au 10 rue de l Eglise. (Elle sera réaménagée en 1857 dans l’arrière cour.)

En 1780, 14% de la population rixheimoise serait juive (217 juifs et 1557 chrétiens.). Et en  1784, le dénombrement des Juifs d Alsace recense 243 Juifs à Rixheim soit 50 familles(12% de la population).  

Malheureusement, cette importante présence juive provoque en juillet 1789, une forte agitation au sein d'une population où sommeillait de façon latente un fond séculaire d’antisémitisme. Á l’image de nombreux villages du Sundgau, les Juifs rixheimois furent chassés et leurs maisons détruites et pillées. (Mulhouse accepta, à cette occasion, d’ouvrir ses portes pour accueillir les fugitifs.) 

Dans la continuité de cet anti-judaïsme séculaire, on trouve à Rixheim, en 1793/94, un maire particulièrement mal intentionné envers les Juifs. Il réquisitionne, hors de toute légalité, la synagogue, bien privé appartenant à la communauté pour en faire une prison qui servira pendant la Terreur. Il impose aussi aux Juifs de multiples travaux d'intérêt général, les rançonne, leur attribue des tours de garde plus fréquents qu’aux autres habitants et est bien loin d'appliquer le principe de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. En Août 1794 la Synagogue est saccagée.

En 1798 ouvre officiellement le cimetière juif de Rixheim, mais des tombes datant de 1785 à 1790 y ont été retrouvées.

2) La vie juive à Rixheim au 19e siècle

En 1806, 303 Juifs demeurent à Rixheim dont la population croît. En 1833 on dénombre 372 personnes juives. C’est apparemment la 2e plus grosse communauté du Haut Rhin après Zillisheim. Mais au recensement de 1861 il n'y a plus que 263 israélites sur 3283 habitants soit 8,01 % de la population rixheimoise. Lors du recensement effectué en mai 1866, la population juive sera de 272 âmes sur 3266 habitants soit 8,32 %.     

En 1863, la communauté juive qui compte 260 à 280 Juifs, dont 40 enfants , adresse une lettre au maire de Rixheim, pour  solliciter la création d'un « emploi d'instituteur adjoint israélite » à l'école publique de la commune. Pour obtenir cette création de classe, 8 notables, tous commerçants et fortunés, des familles DREYFUSS - WEIL - LEVY - HAAS et BLOCH s’engagent à payer intégralement  le traitement dudit aide instituteur ! M. ZUBER, Maire, donne son accord et transmet la pétition à l'inspecteur départemental. « Faute de pouvoir offrir les avantages d'un poste communal, notamment pour la dispense du service militaire, il est devenu très difficile de trouver un instituteur israélite capable »... se présente « un jeune homme nommé Samuel HIRSCH, fils du rabbin de Sierentz, instituteur breveté en 1862 et réunissant toutes les conditions de moralité désirables ». Il exercera les fonctions de « maître-adjoint, spécialement chargé d'une classe pour les enfants israélites », et dispensera, sous la surveillance de l’instituteur public, M. SCHUMACHER,  des cours de religion et d’initiation à la langue hébraïque. 40 enfants juifs fréquentent l'école dans un local fourni par la commune dans le même bâtiment que l’école publique. Fin 1864, lorsque  le jeune Samuel HIRSCH part pour l'Algérie il est remplacé par Wolfgang MEYER, natif de Pfaffenhoffen puis par Raphaël SCHWOB. (N.B : Apres 1870, on continuera, apparemment  d’enseigner, dans une Alsace devenue allemande, le français dans cette classe !)

Dans cette 1ère moitié du 19e siècle, nombre de commerçants juifs demeurent encore à Rixheim. Ce sont des commerçants sédentaires ou des colporteurs. Ils sont marchands de bestiaux ou de graines, prêteurs d’argent ou vendeurs de peaux de lapins et de chiffons, « Choret » (ou Schächter), vendeurs d’étoffe. Ils participent à la vie de la commune. Ils s’appellent Ach, Bernheim, Blatt, Bloch, Blum, Brunschwig, Cahen, Dreyfuss, Ginsburger, Goldschmitt, Kahn etc… Ils donnent à leurs enfants des prénoms à consonances bibliques, yiddisch, françaises ou parfois allemandes selon leurs origines, leur attachement au judaïsme, leur fidélité aux prénoms familiaux, l’histoire de l’Alsace.   

Mais la guerre de 1870 amorce le déclin de cette communauté florissante et observante qui disposait notamment d’un Mikwé (rue du Bain/rue du Tilleul ) géré jusqu’en 1914 par Salomon Franck, d'un abattoir où officiait Abraham Lévy et de 3 boucheries cachères (l’une dans la Judegassele, aujourd’hui impasse des Bergers, l’autre Grand’rue, exploitée par Salomon Ach dit Sàlmi et la 3e appartenant à Leib-Léopold Meyer située au n°4 rue de la Paix). Abraham Levy, originaire de Cernay et greffier à la mairie de Rixheim fut le dernier « Choret » ou Chächter de la communauté.

En 1873, néanmoins, malgré le déclin de la communauté, Jacques Levy (1845/1916), époux de  Caroline née Zivi (1847/1944) acquiert, Grand Rue, en copropriété avec Cerf Willard (prêteur sur gages), une vaste maison bourgeoise datant du 16e Siècle. Né à Altkirch, Jacques Lévy devint un des plus grands propriétaires de vignobles rixheimois. Il employait au moment des vendanges une importante main d'œuvre. Son épouse Caroline fut une des dernières habitantes juives de Rixheim

Les conflits de 1870, à l’issue desquels de nombreux juifs français patriotes quittèrent l’Alsace devenue allemande, puis de 1914-18 marquent définitivement la dispersion de cette communauté active. En 1883, 107 Juifs demeurent encore à Rixheim mais ils ne sont plus que 69 en 1895, 46 en 1910 et une dizaine en 1931.  Á partir de 1882 le rabbinat de Rixheim est vacant, il est rattaché à Dornach puis transféré à Thann, la synagogue construite en 1763 est vendue puis démolie pour cause de vétusté en 1931. Elle n’était plus fréquentée.

Les jeunes ont quitté Rixheim pour s'installer dans de plus grandes villes industrielles comme Mulhouse ou Paris. Certains ont émigré en Suisse, au Canada, en Amérique. Ne restaient plus, à Rixheim que des personnes, majoritairement âgées, souvent anciens petits commerçants ou colporteurs aux faibles revenus.

L’histoire de la famille du Capitaine Alfred Dreyfus est représentative de cette évolution des Juifs de Rixheim et de leur exode. L’arrière grand-père d’Alfred, Abraham (1756/1810)  est né et mort à Rixheim où il est enterré et où sa famille vivait depuis 5 générations. Il était boucher et circonciseur comme le signalent encore les marques symboliques inscrites sur sa tombe au cimetière de Rixheim. Son fils Jacques (1783/1838) naît à Rixheim mais part s’installer à Mulhouse où il sera marchand de toile. Le fils de ce dernier, Raphaël (1818/1893) naît à Rixheim mais poursuit l’ascension sociale de la famille en devenant industriel à Mulhouse avant de partir pour Paris. Alfred (1859/1935) naît et vit à Mulhouse avant de suivre sa famille à Paris et d’ y intégrer l’école polytechnique, puis l’armée française avec le sort qu’on lui connaît.  

Ma famille paternelle (HAAS) a vécu à Rixheim du 17e (1689) jusqu’au début du 20e siècle. Les parents de ma grand-mère tenaient une petite Garkich à Rixheim et vendaient le lait de leur unique vache. Comme nombre de leurs concitoyens ils quittèrent, au début du 20e siècle, Rixheim où ils n’avaient plus de clients ni de débouchés pour s’installer à Mulhouse, auprès de leur fille mariée.

3) Les Juifs rixheimois pendant la Shoa.

Á la veille de la Seconde Guerre mondiale, ne vit plus qu’une poignée de Juifs à Rixheim où le cimetière compte 324 tombes. Lorsque l'ordre de mobilisation générale est lancé en France le 1er septembre 1939 et que les populations, vivant dans une bande de 8 km le long de la frontière avec le 3e Reich, sont évacuées avec quelques affaires et quelques jours de nourriture, plus de 2500 Rixheimois quittent leur ville. Parmi eux, les quelques Juifs y demeurant encore :

Á l’issue de cette hécatombe, plus aucun Juif n’habitait Rixheim. La  Synagogue était détruite, la rue des Juifs rebaptisée rue des Bergers. Nul ne se souvenait de la signification de la rue du Bain. Les quelques survivants des familles durement touchées s’établirent ailleurs. Ne resta alors plus de cette communauté prospère qu’un cimetière, longtemps délaissé.

4) Rixheim aujourd’hui

Et puis quelques Juifs s’installèrent ou se réinstallèrent à Rixheim.

Monsieur FESSEL, propriétaire terrien et agriculteur, dont la famille avait vécu à Rixheim, prit l’initiative, dans les années 1975, de débroussailler le cimetière quasi abandonné, Monsieur Pierre MEYER, dont la famille était aussi originaire de Rixheim, administrateur du cimetière,  entreprit de le réhabiliter, avec l’aide du consistoire. En 1997, Monsieur le Rabbin Hayoun, Monsieur Gunther Bohl, Messieurs Rajber et Gradwohl, déchiffrèrent les inscriptions restées lisibles et établirent un plan de la partie ancienne et plus récente du cimetière. 

La plus ancienne tombe identifiée est ainsi celle de Moshe Dreyfuss enterré en 1797. Ont aussi été retrouvées les sépultures  du Rav Moïse Monius (descendant du Maharal de Prague), ou celles de Mordechaï Samuel (1800), Gretel Grumbach (1805), Fanny Hass (1830), Yakov Abraham Levy (1870) pour n’en citer que quelques unes. Les enterrements se succèdent jusqu’en 1939 (Isaac Ach 1846/1939, époux de Gertrude Ach née Picard 1853/1937).

Une plaque commémorative rappelle le souvenir de la famille Lévy/ Zivi décimée pendant la Shoah. Une tombe plus récente est celle d’Odette Weill épouse Heimendinger, décédée et enterrée à Rixheim en 2014.

En 2016, est née, à Rixheim, suite aux nombreux attentats dont la France a été victime et à la montée de la violence et de l’intolérance à travers le monde, l’idée d’un jardin interreligieux, imaginé comme un lieu de paix, de vivre ensemble où chaque personne pourrait trouver sa place quelles que soient son origine, sa culture, sa religion. Ce projet, porté par les représentants des différentes confessions religieuses présentes à Rixheim (catholique, musulmane, juive, protestante réformée et évangélique) s’est concrétisé et a donné vie à un espace arboré inauguré en octobre 2018 et nommé « Jardin de la fraternité », réalisé par les services techniques de la Ville et sis  dans un lieu fréquenté par les Rixheimois, près des étangs de pêche et aires de jeux.  

Á un autre endroit de Rixheim, une placette s’intitule « square des Justes » « en hommage à toutes les personnes non juives qui, lors de la Shoah, mirent leur vie en danger pour sauver des Juifs. Ils sont à jamais, Juste parmi  les nations. 

 

 

Tous mes remerciements vont à Madame Matter et  Messieurs Ingold, Imbert, Meyer, Thoma, etc…qui, grâce à leur investissement citoyen, leurs écrits sur la situation des Juifs en Alsace ou à Rixheim, leurs recherches sur le cimetière de Rixheim ou les Juifs rixheimois déportés, m’ont permis ce retour sur la vie de nos coreligionnaires, membres d une importante communauté rurale aujourd’hui disparue.

Nos remerciements vont aussi aux membres de la communauté, au Consistoire Israélite du Haut-Rhin, à la municipalité de Rixheim et à toutes les personnes de bonne volonté qui œuvrent pour la sauvegarde de ce cimetière longtemps délaissé et pour la mémoire de nos coreligionnaires !

                                                                                                                                 

Martine Gradwohl

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